« Ce qu’on fait de vous hommes femmes
O pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m’arrache l’âme »
Louis Aragon et Maguy Marin ne se sont jamais rencontrés. Pourtant, dans BiT, spectacle de la chorégraphe, hommes et femmes sont usés, les apparences brisées, les âmes arrachées, soulevées, éprouvées, démantelées, éparpillées.
Au commencement, l’obscurité. Un grondement sourd. Une silhouette apparait entre deux structures verticales. Les yeux écarquillés, mains crispées, on ne sait pas.
Une farandole anachronique se déploie, devant, derrière, dans toutes les brèches de l’espace. Chacun appliqué aux mêmes mouvements répétitifs. Un jeu de pieds, un bras levé, signes d’une joie désuète, d’une fête trop lointaine.
Immuable, la danse se poursuit frénétiquement sous les vibrations de la techno tribale, les marionnettes se démènent, guidées par un instinct collectif. A travers les âges, elles butent sur les pentes abruptes qui fragmentent la scène.
Ici, se joue le destin de l’humanité. L’homme est un insecte, un reptile, une bête. Eternel prédateur sexuel dans la transe aveugle de l’existence.
L’orgie sur fond rouge, mélange de corps enchevêtrés et indissociables, glisse comme une coulée de lave jusqu’au sol.
Sous les capuches de l’inquisition, les moines violent et convulsent.
L’argent déverse sa bile. Le beat soulève les reins, va-et-vient mécanique dans la chair. Les êtres agitent leurs membres en tenue de soirée et talons aiguille.
Le champ se referme en un mur infranchissable.
Une dernière pulsion libératrice. Un saut dans l’inconnu. Noir.
Dans ce monde, pas de rencontre heureuse. Pas d’individu. Pas de liberté. Juste une ronde contre l’absurdité.
Dans ce monde, encore subsiste une soif, un regard. La poésie décharnée d’un souffle résistant. L’élan conquérant d’un acte créateur.
Face à ça, les yeux écarquillés, les mains crispées, on est vivant.